Chercherai points de rencontres plutôt que de créer un territoire là où il y avait un vacuum toujours non pas ouvert mais s'ouvrant. Évider n'est pas béer. Évidance n’est pas béance.


Évidance :

Ce terme m’est apparu comme évident précisément, au moment de l’écriture d’écoute des streams audio, durant le post-diplôme de recherche en art audio Locus Sonus, en 2005.

Prenant appui sur la même permutation du e vers le a que dans la différance développée par Jacques Derrida au début des années 60, il voudrait se situer dans la même lignée d’un mot déplacé et déplaçant, questionnant, si ce n’est l’origine, du moins la trace de ce qui est.

Parlant de cette évidance comme un jeu de creux, c’est de résonance et de sonore, donc d’oreille et d’écoute dont il est question, en constant déplacement. À l’instar de l’aileron du requin qui dénonce la présence animale sous la surface, l’évidance n’arrête pas de se déplacer, ne peut s’arrêter sous peine d’asphyxie et charrie en creux ce qui n’a pas été choisi, ce qui n’apparaît pas, ce qui s’est éloigné, dans la présence même de ce qui est. De quelle manière, c’est ce qui est à creuser, ou qui se creuse, à chaque apparition, de quelque nature qu’elle soit. 

C’est la présence sonore singulière des streams audio et l’ouverture du lieu d’écriture d’écoute avec Carpophores qui a précipité (au sens chimique) la venue de ce néologisme. Il a été développé plus avant dans ma soutenance Locus Sonus « Sujet à un stream », en 2006/2007, et fait l’objet d’un essai plus approfondi en cours d’écriture, dont les notes s'élaboreront ici, en ligne, les dimensions audibles de cette notion / concept n’en étant qu’à ses débuts.

Évidance est le titre d’un texte sorti dans le numéro Zéro Un Deux de la revue fondcommun en décembre 2011.

Ce texte a été repris dans la composistion d'Amenées, sortie en septembre 2017 chez Éric Pesty Éditeur sous le titre L'évidance. Il est grille, filtre, tamis.

Ce mot s'est construit à travers à la fois l'acte d'écoute, l'existence technique du temps réel, la présence du sonore lointain, la tentative de rattraper la vitesse de perception et de la transduire au plus près du temps réel, et son échec constant, sa remontée à la surface, dans un mouvement de "piqûre-surpiqûre", son plongeon, donc avec la notion de ce qui a été perçu comme incomplet, et le fait de la construction, du montage, de l'architecture de "ce qui reste", de ce vide pourtant présent, le fait de l'interrogation de "ce qui reste" : de quelle nature, pourquoi cela reste et comment cela est organisé comme langage, voire comme langue. 

L'écoute des stream et l'écriture d'écoute est venu percuter, à ma demande, la langue que j'utilisais, j'ai demandé à ces flux sonores de déconstruire, diffracter mon usage de la langue. Grammaire, syntaxe, vocabulaire, prosodie, rythme internes : travail d'ignorance et de recherche : faire plonger, voir ce qui arrive à la surface, questionner ce qui n'a pas été choisi, sa présence ou non, "degré d'absence", non pas dans une lignée romantique lyrique encore extérieure, mais dans la matière même, dans ses lois de persistance ou non.

Cela s'étend, à un travail d'écriture, de photographie, de pédagogie, d'installation plastique mais aussi à un travail de pensée, un travail de la pensée. L'évidance n'est pas un creux dans la matière, mais un mouvement constant. Ce qui a été évidé peut se remplir ou pas, n'est déjà plus là, est encore là. La question se pose sans cesse, non pas pour le confort d'une déstabilisation incertaines, mais parce que ce qui reste, ce qui est là est toujours à la limite de la tangibilité, c'est ce qui en fait son chatoiement, sa moire à x dimensions, son vivant.

Ce mot parle autant de creux matériel qu'immatériel, il parle d'acte comme de souvenir. Il accompagne, et regarder de côté ou plisser les yeux ou les laisser grand ouvert (Abé Kobo, Le plan déchiqueté), ou voir flou, pour le percevoir est percevoir ce qui est là, et, peut-être, pourquoi c'est là. Pas pour une raison logique et causale, mais quelque chose de légèrement dessous et qui va légèrement au-delà de la logique et de la causalité. Pas une posture qui se tortille, mais un souffle qui n'arrête pas de revenir. La figure dansante de Dionysos et son cortège peut venir, il est invité, celle de Khôra également, comme celle de l'Aborde, ou de décibler, de l'attente aussi, de la déformation, pas de côté. Mais d'une manière "vitalement" organique. C'est pourquoi la vitesse de la publication, de l'écriture, sera celle d'un développement vivant, que ce territoire à venir prendra le temps, son temps, sa durée, ses occasions, sa manière.