Pas de vide non ou alors un intervalle la matière autour fascia générateur de l'avancée mémoire se plaque respire sans angles quels organes ou membrane se sépare pas de vide non ou alors un mouvement de ce vide, pas dentelle, pas travail en finesse, respir, et paysage son épaisseur se presse son poids.

Inventer un mot, bien entendu avec ses racines (évidence, évider), nécessite de vérifier si il existait déjà, dictionnaire, recherche sur internet, BNF etc... Ce que j'ai fait. Constater qu'il n'existe pas me permet d'installer, à son rythme, des notions qui l'entourent, le définissent, en font un moteur, une fenêtre. Une personne qui maintenant le trouverait et ferait une recherche tomberait sur ce travail. Elle ne pourrait faire autrement que de faire avec cette racine, composer avec, la prendre en compte, par honnêteté intellectuelle, ce que j'aurais fait si cela avait été le cas : m'intéresser à ce mot qu'une personne aurait trouvé avant moi, et travailler avec cette notion, en citant ses sources, entre autre.

« Les choses absentes, regarde les pourtant, par le penser, comme fermement présentes. » Parmenide, Fr.4

Travailler avec l'évidance, ce n’est pas mon chemin avec un mot. C’est un mot qui n’existait pas auparavant, et qui par sa création aimante des préoccupations ayant partie liée à la mémoire, à la présence et/ou l’absence, à quelque chose de fantômatique, ou plutôt de spectral, dans la voix, l’enregistrement, les traces, les ruines, la transparence, les strates verticales et bien entendu l’écriture. Ce n’est pas une trouvaille, ni un fourre-tout. Il a son temps, ses temporalités, ses attentes, ses stases et ses avancées.

Terrain, site, lieu, socle, sol, roche, plaque, étendue de recherche. Se construit en se nommant, se dénomme aussitôt. La pointe est un point comme une ligne oublieuse mais les croisements sont lieux de mémoire. Croisement ou rencontre, croisement où rencontre. Ce terrain, site, lieu, socle, sol, roche, plaque, étendue échappe, se saisit et saisit (feuillages fuseaux).

C'est dans le paysage, c'est dans la fonte des dimensions, c'est dans leur déplacement, leur avancée, c'est dans le versement des couleurs, l'une dans l'autre et ce qui s'ensuit, dans la friction des découpes, les échanges de densité, la transduction corps-langage. C'est dans la ligne, c'est la ligne, sur le dessin, à la vue : carte postale, dans la structure et hors d'elle.

Manière d'ôter par strate les informations, ce qui reste, souvenir de l'incrémentation, vient parler à l'oreille.

“Et quant à la chambre, eh bien, elle peut tout contenir: mettez-y tout” Jacques Derrida, Éperons, Champs Flammarion, p. 18

S'accompagner de ce mot, lui laisser le temps de "prendre", regarder sa dormance, le sentir se réveiller, l'attendre, sentir cette attente. Par cette durée, ne pas lui imposer un sens de force. Son adn est contenu dans le texte L'évidance. Revenir sur ces phrases, leurs liens et complicités, leur aimantation, leurs plis : c'est là que la roche-mère se constitue, substrat. Parfois le provoquer, bientôt le provoquer, pour qu'il livre quelque chose de plus, son architecture, présente, passée, à venir. Chronos, Kairos, Aiôn. Seront aimantés aussi Khôra, le fil de la lame, décibler, le requin, la spectroralité, la surface de Boy, le fascia, l'Aborde... Seront convoqués aussi le gauche, le retardataire et le myope. Toutes figures qui par la bande vont inviter Évidance. Si celle-ci prend sa capitale, maintenant, à ce point-là, c'est qu'elle devient, de manière de plus en plus spéciale, un concept opérationnel par sa disparition, son évanouissement. Le ravissement, si il vient, aura déjà un autre socle, prendra forme — contre-forme. Il est question de vitesse, donc, de temps, donc, de durée : l'œil tourné vers l'arrière, les oreilles, petites, se rencontrent dans la boîte crânienne, la peau est cérébrale, le retournement, constant.

En 2005, j'ai cherché si le mot évidance existait, ce qui n'est pas le cas : cnrtl. La question d'inventer un mot — le son dit l'évidence, le a dit l'évidement — est cruciale, car relevant de l'espace. L'évidance est le point, le point précis, le point exact où les miroirs de la mer brisée se creusent, s'évident, font vacuum, sous la pression du fil de l'aileron du requin, de son style. Son style de nage, d'attente, d'affût, de chasse, de respiration, de sommeil, qui ne peut s'arrêter. C'est le point d'engouffrement à partir duquel non pas quelque chose existe, mais se dote, se charge de présence. Une présence absence, un présence absente, mots concaténés déjà ou assez. De quel style de présence, de quelle manière, de quelle matière ? C'est par le fait même que ce mot n'existait pas et disons que, maintenant, il existe, que devant lui la surface est à creuser, sillonner, et que derrière lui la surface ne se calme pas, elle est aussi disponible au retournement qu'après. Le point précis, exact, plus qu'exact, plus que précis est un présent (celui de l'écriture, de la perception...), est un axe, un trou, une chas d'aiguille, début constant d'une topologie ramassée.

La structure composition équilibre quand il est réalisé au moment même où il se réalise serrer la forme les clefs pour ça au moment pile où il advient disparaît s'évanouit s'enfonce se dissout vite et lentement ce qu'il laisse n'existe pas ou par cette disparition même, juste avant son absence, son absence serait trop de présence encore c'est sa disparition qui est évidance. Là, à partir de là, il est possible au mouvement vers - l'œil l'oreille la peau les fascias, il est possible d'être touché mise en aimantation par dessous le langage mais grâce à lui, celui de l'image comme celui de l'écriture. Ce passage juste sous la surface est dionysiaque son existence passe par l'evidance, coûture de juste au-dessous et juste au-dessus de la ligne du sol qui est celle de la plante - pied mais aussi par contagion, horizon, tous.

Chercherai points de rencontres plutôt que de créer un territoire là où il y avait un vacuum toujours non pas ouvert mais s'ouvrant. Évider n'est pas béer. Évidance n’est pas béance.


Évidance :

Ce terme m’est apparu comme évident précisément, au moment de l’écriture d’écoute des streams audio, durant le post-diplôme de recherche en art audio Locus Sonus, en 2005.

Prenant appui sur la même permutation du e vers le a que dans la différance développée par Jacques Derrida au début des années 60, il voudrait se situer dans la même lignée d’un mot déplacé et déplaçant, questionnant, si ce n’est l’origine, du moins la trace de ce qui est.

Parlant de cette évidance comme un jeu de creux, c’est de résonance et de sonore, donc d’oreille et d’écoute dont il est question, en constant déplacement. À l’instar de l’aileron du requin qui dénonce la présence animale sous la surface, l’évidance n’arrête pas de se déplacer, ne peut s’arrêter sous peine d’asphyxie et charrie en creux ce qui n’a pas été choisi, ce qui n’apparaît pas, ce qui s’est éloigné, dans la présence même de ce qui est. De quelle manière, c’est ce qui est à creuser, ou qui se creuse, à chaque apparition, de quelque nature qu’elle soit. 

C’est la présence sonore singulière des streams audio et l’ouverture du lieu d’écriture d’écoute avec Carpophores qui a précipité (au sens chimique) la venue de ce néologisme. Il a été développé plus avant dans ma soutenance Locus Sonus « Sujet à un stream », en 2006/2007, et fait l’objet d’un essai plus approfondi en cours d’écriture, dont les notes s'élaboreront ici, en ligne, les dimensions audibles de cette notion / concept n’en étant qu’à ses débuts.

Évidance est le titre d’un texte sorti dans le numéro Zéro Un Deux de la revue fondcommun en décembre 2011.

Ce texte a été repris dans la composistion d'Amenées, sortie en septembre 2017 chez Éric Pesty Éditeur sous le titre L'évidance. Il est grille, filtre, tamis.

Ce mot s'est construit à travers à la fois l'acte d'écoute, l'existence technique du temps réel, la présence du sonore lointain, la tentative de rattraper la vitesse de perception et de la transduire au plus près du temps réel, et son échec constant, sa remontée à la surface, dans un mouvement de "piqûre-surpiqûre", son plongeon, donc avec la notion de ce qui a été perçu comme incomplet, et le fait de la construction, du montage, de l'architecture de "ce qui reste", de ce vide pourtant présent, le fait de l'interrogation de "ce qui reste" : de quelle nature, pourquoi cela reste et comment cela est organisé comme langage, voire comme langue. 

L'écoute des stream et l'écriture d'écoute est venu percuter, à ma demande, la langue que j'utilisais, j'ai demandé à ces flux sonores de déconstruire, diffracter mon usage de la langue. Grammaire, syntaxe, vocabulaire, prosodie, rythme internes : travail d'ignorance et de recherche : faire plonger, voir ce qui arrive à la surface, questionner ce qui n'a pas été choisi, sa présence ou non, "degré d'absence", non pas dans une lignée romantique lyrique encore extérieure, mais dans la matière même, dans ses lois de persistance ou non.

Cela s'étend, à un travail d'écriture, de photographie, de pédagogie, d'installation plastique mais aussi à un travail de pensée, un travail de la pensée. L'évidance n'est pas un creux dans la matière, mais un mouvement constant. Ce qui a été évidé peut se remplir ou pas, n'est déjà plus là, est encore là. La question se pose sans cesse, non pas pour le confort d'une déstabilisation incertaines, mais parce que ce qui reste, ce qui est là est toujours à la limite de la tangibilité, c'est ce qui en fait son chatoiement, sa moire à x dimensions, son vivant.

Ce mot parle autant de creux matériel qu'immatériel, il parle d'acte comme de souvenir. Il accompagne, et regarder de côté ou plisser les yeux ou les laisser grand ouvert (Abé Kobo, Le plan déchiqueté), ou voir flou, pour le percevoir est percevoir ce qui est là, et, peut-être, pourquoi c'est là. Pas pour une raison logique et causale, mais quelque chose de légèrement dessous et qui va légèrement au-delà de la logique et de la causalité. Pas une posture qui se tortille, mais un souffle qui n'arrête pas de revenir. La figure dansante de Dionysos et son cortège peut venir, il est invité, celle de Khôra également, comme celle de l'Aborde, ou de décibler, de l'attente aussi, de la déformation, pas de côté. Mais d'une manière "vitalement" organique. C'est pourquoi la vitesse de la publication, de l'écriture, sera celle d'un développement vivant, que ce territoire à venir prendra le temps, son temps, sa durée, ses occasions, sa manière.